Amber Goyon, des ports étrusques à la BD
Lauréate de l’édition 2024 de Sciences en Bulles, Amber Goyon est doctorante à l’Université Lumière Lyon 2 où elle mêle les disciplines à travers son sujet de thèse : “Reconstruire l’interface entre terre et mer de la cité étrusque de Populonia (Toscane, Italie) au Ier millénaire av. J.-”. Elle nous présente son travail et son quotidien de doctorante.
Quel est votre parcours ?
A.G. : J’ai commencé au lycée avec une spécialité en SVT, attirée par les sciences de la Terre et un parcours sur le climat ancien. J’étais aussi passionnée d’histoire. L’idée de reconstruire un peu le passé, ça m’a mené à l’archéologie, d’abord par une double licence en archéologie et géographie. Pendant mon master, j’ai rencontré le géo-archéologue Jean-Philippe Goiran qui m’a proposé de travailler sur les ports étrusques. J’ai ainsi réalisé mes deux mémoires de master sur ce sujet, avant de poursuivre en thèse.
Avez-vous toujours eu l’intention de poursuivre en thèse ?
A.G. : Oui, depuis la licence. J’avais fait un stage dans une école doctorale où j’ai pu concrètement savoir ce qu’était un doctorat. Je ne savais pas encore sur quoi j’allais travailler. J’ai commencé par la petite porte avec un sujet un peu large, puis de plus en plus spécialisé jusqu’à ce que l’on se dise “Ah bah tiens, il y a un sujet de thèse-là, est-ce que c’est possible de faire quelque chose pendant 3 ans là-dessus ?”.
Votre sujet de thèse s’intitule : “Reconstruire l’interface entre terre et mer de la cité étrusque de Populonia (Toscane, Italie) au Ier millénaire av. J.-”. Qui sont les Étrusques ?
A.G. : C’est une civilisation qui s’est développée entre -1000 et -500 en Italie, principalement en Toscane. Elle a eu beaucoup d’impact sur l’empire Romain qui s’est développé par la suite. Le problème, c’est que l’on ne connaît pas grand-chose sur les Etrusques. On a qu’une fraction de leur vie quotidienne. D’où l’idée d’étudier les ports qu’on ne retrouve pas alors que les Étrusques étaient tournés vers la mer. Où se situaient ces ports et comment étaient-ils aménagés ? Les Étrusques avaient-ils des ports semblables à ceux que nous imaginons avec quais et débarcadères ? Existaient-ils d’autres formes de ports comme des baies naturelles ou des lagunes ? C’est ça qui est intéressant chez étrusques, il y a mille choses à découvrir !
Vue de l’île d’Elbe depuis le promontoire de Populonia (Piombino). @Amber Goyon, mai 2023.
Pourquoi avoir choisi de travailler sur la ville de Populonia ?
A.G. : Populonia est la ville la plus maritime de Toscane, située à un carrefour presque naturel entre la Corse, la Sardaigne et l’île d’Elbe. Elle est aussi sur le chemin des bateaux qui vont de la France jusqu’à la Grèce. Populonia a une organisation différente par rapport aux autres villes étrusques : tout y est concentré au même endroit. C’est donc déjà très intéressant de comprendre cette stratégie d’implantation. C’est aussi une ville tournée vers le commerce maritime et qui permet de s’interroger sur les rapports à la mer des Etrusques.
Durant votre travail de recherche, vous êtes rendus en Italie. Que faisiez-vous lors de vos visites à Populonia ?
A.G. : Lors de mes séjours en Italie, j’ai réalisé des carottages sédimentologiques. Ce sont des prélèvements de sédiments, un peu comme des carottes de glace, qui permettent de reconstituer les paysages anciens. La nature des éléments qui s’y trouvent nous informe sur les environnements passés. Il faut une énergie assez forte pour transporter du sable ou des graviers. Si on en retrouve dans une carotte, on peut donc imaginer qu’on a carotté dans un cours d’eau ou à côté de la mer, dans un endroit où il y a du brassage de sédiments. À l’inverse, si on retrouve des argiles ou des limons, l’environnement devait être calme. Ces carottages sédimentologiques nous permettent donc de reconstruire le paysage et son évolution. Ce qui nous intéresse, c’est d’essayer de comprendre si ce paysage est naturel ou s’il a évolué avec l’intervention humaine. On finit par comprendre pourquoi les êtres humains étaient présents. Pour des ressources ? Pour des raisons esthétiques ? Parfois il n’y a aussi aucune raison.
Carottage en action. @Amber Goyon, mai 2023.
Dans votre thèse, il y a également une dimension archéologique, comment prend elle forme et comment s’articule-t-elle avec la géographie ?
A.G. : J’examine des éléments matériels comme des tessons de céramique ou des tuiles. Les pollutions aussi, lorsqu’elles ne sont pas naturelles, traduisent un impact humain. C’est par toutes ces traces que j’arrive arrive à faire des liens. C’est souvent compliqué de réussir à lier géographie et archéologie. Parfois, on carotte dans un site archéologique sans le savoir. On retrouve alors un mur, des tessons … Parfois, on obtient une carotte très naturelle. Car oui, même durant l’Antiquité, tous les environnements n’étaient pas aménagés par l’Homme. Ce sont les deux types d’environnement qu’on retrouve dans les carottes et il faut réussir à faire le lien entre eux. La thèse apprend aussi à travailler un peu sur tout et n’importe quoi, sans être forcément spécialiste. Donc j’ai pu faire de la géochimie, de la sédimentologie, de l’étude des mollusques… Je me suis retrouvée à faire plein de domaines qui étaient quand même des spécialités différentes et c’est vraiment ensuite que l’on met tout en commun.
Qu’est-ce qui vous vous plaît le plus dans votre travail de doctorante ?
A.G. : C’est le fait d’abord de faire plein de choses. De tester plein de méthodes différentes, plein d’approches, d’avoir la liberté en fait ! Il n’y a pas beaucoup de métiers où il y a cette liberté-là d’action. J’aime beaucoup aussi les échanges. Partager avec des collègues des réflexions poussées sans aucune raison, ou parler et débattre à la fois des concepts, à la fois des actions, des outils… Et ces échanges et aller-retours, c’est vraiment très enrichissant.
Quels sont les enjeux les plus importants lié à votre sujet de recherche ?
A.G. : Un enjeu est la préservation du patrimoine. Une fois qu’on a découvert quelque chose, est-ce que c’est intéressant de le conserver tel quel ? Est-ce que on construit quelque chose par-dessus ? Il y a aussi la question du réchauffement climatique dès qu’on travaille sur un lieu en bordure de littoral comme moi. Essayer de conserver quelque chose qui est sous l’eau, qui est déjà en pleine érosion, ou qui va se retrouver sous l’eau dans les prochaines années, ça lance d’autres questionnements et d’autres travaux potentiels. Ça concerne des sites patrimoniaux en Italie mais en France
Enfin, il y a la question des pollutions de l’activité métallurgique à Populonia. Un intérêt de l’étude historique des environnements, c’est qu’on peut essayer de suivre les pollutions au cours du temps. Est-ce qu’elles ont eu un impact sur la santé dans le passé ? Est-ce qu’elles peuvent avoir un impact actuellement ? Dans toutes les réflexions actuelles sur l’anthropocène, on se demande quand il faut considérer que l’être humain a modifié son environnement. Si les archéologues trouvent des pollutions qui datent d’y a 3000 ans, est-ce qu’on ne peut pas déjà considérer qu’il y a une modification de l’environnement ?
Vue du golfe de Populonia depuis la nécropole étrusque. @Amber Goyon, mai 2023.
Vous participez à l’édition 2024 de Sciences en Bulles “L’eau dans tous ses états”. Est-ce votre première contribution de vulgarisation ?
A.G. : J’ai déjà participé à des événements de vulgarisation et de médiation scientifique comme les Conférences Embarquées du CNRS mais c’est ma première participation à un ouvrage de vulgarisation. C’est vraiment intéressant parce qu’on a un format papier., on a quelque chose à montrer et c’est quand même le but de de la BD. J’ai vraiment trouvé ça super de laisse une trace pour soi-même : même si à la fin ma thèse mon manuscrit fera 500 pages incompréhensibles pour le grand public, et bien j’aurais aussi quand même 6 pages de la BD à présenter !
Quelle est l’importance de la vulgarisation scientifique selon vous ?
A.G. : J’aime bien le fait qu’il n’y ait pas forcément de but à la vulgarisation scientifique. C’est intéressant d’apprendre des choses aux gens et inversement ! Je suis souvent public de vulgarisation. J’aime beaucoup qu’on m’apprenne quelque chose qui ne me resservira peut-être jamais. La vulgarisation éveille la curiosité et permet de mieux comprendre le monde. Pour moi, c’est important aussi de conserver ça, l’aspect « inutile » de la vulgarisation, au service de l’émerveillement et du plaisir d’apprendre.
Allez-vous participer à la Fête de la science ?
A.G. : J’ai été pas mal sollicitée ! Je voulais justement faire de la médiation mais je ne savais pas où chercher. Grâce à Sciences en Bulle, les gens sont venus à moi ! Je vais présenter la BD lors de la Fête de la science à l’Université Lumière Lyon 2 le samedi 12 octobre. J’y présenterai également mon travail et une carotte de sédiments. Je vais aussi participer à la Fête de la science à la Maison des sciences de l’homme Lyon Saint-Étienne. J’ai réussi aussi à recruter deux autres doctorants qui travaillent aussi en géo-archéologie et en paléoenvironnement. Ensemble, on a créé un atelier, une sorte de de cluedo. Au fur à mesure du temps, avec des indices, le public va reconstruire un environnement et suivre son évolution au cours du temps. Et puis, je serai aussi à l’inauguration de la Fête de la science à Saint-Romain-en-Gal.
Quelle est la suite pour vous ?
A.G. : Déjà, il y a l’écriture de la thèse. Avec des sujets comme le mien, on peut se retrouver à refaire des missions et retravailler. Donc je me suis fixée une date limite : l’année prochaine !
Et après ? En commençant ma thèse, je me suis dit “je vais être chercheuse, c’est sûr”. Pendant la thèse, j’ai découvert qu’on pouvait faire plein de choses et valoriser son travail de manière différentes. Je pourrais travailler sur l’établissement des Plans de Prévention de Risques et des Inondations (PPRI) ou des plans de prévention de risque industriel. Dans le but de protéger les gens des risques que j’ai étudié pendant ma thèse. Il y a aussi tout l’aspect musée, transmission des informations… qui m’intéresse. J’ai beaucoup apprécié transmettre ce que j’ai étudié, mais j’apprécierais aussi de parler de ce que d’autres font. Je pourrais faire le lien entre la recherche et les gens, essayer de trouver le discours le plus intéressant et réussir à mettre un peu plus de société dans la recherche.
Propos recueillis par Guilhaume Boo.