N° 07/30 | Léger, profond, léger, paradoxal ? Nan mais je rêve !
Longtemps considéré comme une “petite mort”, le sommeil est un état complexe. Ce n’est qu’au XXe siècle que Michel Jouvet en décrit les différentes phases et découvre celle, désormais célèbre, du “sommeil paradoxal”.
Le sommeil paradoxal ou la découverte d’un troisième état du cerveau
Peu de chercheurs ont marqué la neurophysiologie comme Michel Jouvet l’a fait. Il faut dire que pour ce médecin né en 1925, tout est à faire. Ainsi témoigne-t-il : « Après avoir lu de nombreux ouvrages, je fus convaincu que la plus grande partie de la physiologie cérébrale nous était inconnue et que nous n’en savions pas plus sur le cerveau que « comme s’il était rempli de coton » ». Il étudie inlassablement les mécanismes qui, dans le cerveau et le système nerveux, sont responsables de l’éveil, du sommeil et du rêve. Car, pour ce chercheur visionnaire, il s’agit bien là de trois états distincts, reflétant trois modalités opérationnelles du cerveau. Il découvre alors un état “paradoxal”, cinquième et dernier stade du cycle du sommeil. Durant celui-ci, le corps est entièrement passif (atonie musculaire), hormis les yeux agités de rapides mouvements – d’où son nom anglais de REM-sleep (rapid eye movements) –, tandis que l’activité cérébrale est au contraire intense et rapide, comme chez une personne éveillée. C’est le temps du rêve ! Il se caractérise par une “activité” qui ne peut se réaliser physiquement car le locus coeruleus, une zone du cerveau située dans le tronc cérébral, bloque alors les commandes motrices qui activent les muscles posturaux.
Au-delà de leur mécanisme, quelle utilité du sommeil et du rêve ?
S’il s’intéresse aux mécanismes physiologiques du sommeil, Michel Jouvet pose aussi des hypothèses sur son utilité pour les individus et leur espèce. Car le sommeil ne concerne pas que les hommes. Les animaux dorment et certains rêvent. Pour le chercheur, leur sommeil hivernal, par exemple, peut s’expliquer par la nécessité d’une économie d’énergie en un moment où la nourriture manque. Remarquant des différences entre les animaux, Michel Jouvet a également pensé le sommeil à l’échelle de l’évolution. D’un côté les mammifères et les oiseaux, à sang chaud, qui rêvent. De l’autre, les amphibiens, les invertébrés et les reptiles, à sang froid, qui ne rêveraient pas. Michel Jouvet voyait là le signe que « l’apparition du sommeil paradoxal au cours de l’évolution des espèces a probablement coïncidé avec l’apparition de l’homéothermie ». Toutefois, récemment, l’équipe Sommeil du Centre de recherche en neurosciences de Lyon a pu établir que certains lézards, dont le dragon barbu (Pogona vitticeps) ou le tégu argentin (Salvator merianae), connaissent un état proche du sommeil paradoxal.
Découverte de la mort cérébrale
Dépassant le sommeil, les recherches de Michel Jouvet l’ont conduit à explorer plus largement les différents états de conscience du cerveau, allant de la conscience complète au coma profond. C’est ainsi que, jeune chercheur, il s’intéresse à l’activité électroencéphalographique. En 1959, il s’aperçoit que certains patients accidentés de la route placés sous respiration artificielle ne présentent plus de signal électroencéphalographique mais maintiennent un rythme cardiaque et une pression artérielle normaux. C’est ainsi qu’il décrira l’état de “mort cérébrale”.
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